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Invité du week-end “Gainsbourg et cætera” organisé par la Cité de la Voix du 30 mai au 1er juin, Karol Beffa proposera au piano un concert participatif pas comme les autres…

On dit parfois qu’improviser c’est composer et exécuter simultanément et sans préparation un discours, un poème, un air de musique. Un orateur improvise un brillant développement, un musicien, des variations sur un motif donné. À l’opéra, les vocalises ont longtemps été improvisées par les chanteurs, avant que les compositeurs ne prennent l’habitude de les écrire, comme le faisait Rossini pour limiter les excès de vocalité ornementale de ses interprètes. Par extension, improviser signifie organiser quelque chose de but en blanc, au pied levé. Pour un pianiste, c’est composer dans l’instant, en temps réel, sans pouvoir revenir en arrière. Un peu comme si l’improvisateur était un compositeur qui aurait à sa disposition un crayon mais serait privé de gomme : il n’a pas droit au repentir.

La plupart du temps, c’est en tant qu’improvisateur que je me produis en public, qu’il s’agisse de concerts avec un illustrateur qui dessine en même temps que j’improvise, d’accompagnement de lectures de textes à haute voix ou encore de ciné-concerts lors desquels je m’efforce de traduire en musique la puissance visuelle d’un film muet. Improviser convient à ma paresse : pourquoi s’encombrer la mémoire à retenir par cœur tous les détails d’une partition ? En plus, je suis du genre distrait, du genre à pouvoir oublier la partition dans un train. Quand on improvise, il n’y a par définition pas de partition, donc pas de risque d’oubli. Et pas de risque de trou de mémoire.

Je sens chez l’homme, sous des dehors faussement cyniques, une tendresse, une fragilité qui me touchent. Et je me reconnais dans son goût pour la mystification, pour le double sens et pour son amour de Baudelaire, dont le poème « Le Serpent qui danse » lui a inspiré en 1962 sa chanson Baudelaire. Coïncidence : j’ai moi-même composé d’après le même poème une pièce pour saxophone intitulée Tel un Serpent qui danse.

Quand il est parolier, Gainsbourg est lui-même un poète. Il a laissé une empreinte indélébile dans l’art d’écrire des chansons. Son style poétique privilégie assonances et allitérations, il affectionne les rimes sophistiquées et joue avec subtilité sur le sens des mots. Compositeur, il laisse une œuvre aussi audacieuse qu’incroyablement variée, puisant dans les musiques de son temps et les enrichissant en retour : jazz, musique afro-cubaine, rock, reggae, funk, rap…

Si j’en crois mes souvenirs, à sa mort, Libération avait titré « Gainsbourg se barre… » — allusion à la plaisanterie en forme de contrepèterie que lui-même avait faite de son vivant : « Quand Gainsbarre se bourre, Gainsbourg se barre… ». Quitte à jouer sur les mots, dans le livre Anagrammes à quatre mains que Jacques Perry-Salkow et moi-même avons fait paraître en 2019, nous avons tenu à honorer l’artiste par l’anagramme suivante :

Serge Gainsbourg
Le clash avec Whitney Houston, le billet de cinq cents balles parti en fumée, Les SucettesAux armes et cætera, on aura tout pardonné à Gainsbarre. Et combien de 
grabuges ignorés…

J’improviserai sur des thèmes que proposera le public qui participera ainsi à l’élaboration du programme. Les thèmes pourront être musicaux, littéraires, picturaux, l’idée étant qu’ils fassent, de près ou de loin, référence à l’univers de Gainsbourg : ses déclarations, ses paroles, ses proches, ses amours, son monde poétique et musical…

Attention, je ne suis quand même pas un jukebox, et les thèmes les plus bizarres ne sont pas forcément les meilleurs… Les plus stimulants sont souvent liés à la confrontation entre deux univers apparemment contrastés : on m’a ainsi proposé d’improviser sur une rencontre improbable entre Bach et Scriabine, ou encore entre Don Juan et Carmen. Comme Gainsbourg fait dans ses chansons quantité de clins d’œil à des compositeurs « classiques », cela pourrait donner des idées aux spectateurs…