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Culture Santé, Actualité

Le 30 septembre dernier, La Cité de la Voix a accueilli la journée de rencontres artistiques « Notes de Chœurs » organisée par la Fondation Artistes à l’Hôpital, sur le thème « Chanter et faire chanter en milieu de santé ».

Cette journée a réuni une cinquantaine de participants autour des enjeux de la Culture-Santé : artistes professionnels, personnels de santé, responsables de structures médico-sociales ou acteurs de médiation culturelle. Une journée riche, en témoignages et en découvertes, animée par Camille Prost de Calamus Conseil et Elisabeth de la Genardière, présidente de la Fondation Artistes à l’Hôpital, qui a permis d’échanger autour de projets expérimentaux imaginés par les artistes pour répondre aux besoins de publics sensibles et isolés, très éloignés d’une vie culturelle.

Avec ces publics, les artistes ont développé un esprit d’adaptation et d’attention dans des situations difficiles : fin de vie, handicaps majeurs, néonatalogie, isolement… La collaboration des équipes soignantes permet d’imaginer des formes artistiques nouvelles, adaptées aux besoins et aux capacités de chacun. S’ils participent à un accompagnement des soins, chacun de ces projets garde un caractère artistique et créatif.

Antoine Jomin, connu du public de Vézelay pour ses séances de qi gong du matin pendant les Rencontres musicales et ses méditations en musique proposées durant les Quotidiennes, a témoigné de son expérience auprès des personnes atteintes de pertes cognitives et de handicaps, en partenariat avec l’association Les Petits Chemins et le Pôle Gérontologique de la Vallée du Serein.

Ses ateliers sensoriels se poursuivent depuis bientôt 4 ans grâce à la confiance de 9 établissements, dont 4 sont engagés dans des projets suivis. Des activités reconduites au vu des résultats auprès des personnes touchées par des maladies de la mémoire ou du sommeil, et sur l’aspect émotionnel (on constate par exemple une amélioration du dialogue avec leur famille).

© Vincent Arbelet

Les bienfaits de cette musique vibratoire sont aussi constatés dans l’accompagnement de cas pour lesquels il n’y a pas forcément de solutions thérapeutiques (grande détresse, dépression, fin de vie…). Néanmoins, Antoine Jomin considère intervenir en tant que musicien et non en tant que thérapeute, et souligne l’importance de l’accompagnement de ses interventions par le personnel de santé : le dialogue avec eux est primordial, pour des questions d’organisation et pour s’inclure dans un dialogue avec l’équipe de soins afin de comprendre les réactions de chacun. 

Emmanuel Bonnardot et Hélène Moreau de l’Ensemble Obsidienne ont partagé leur expérience à l’EHPAD de Saint-Julien-du-Sault autour de leur projet La Voix lactée : les rencontres sont préparées en amont, en lien avec la psychologue de l’établissement. Une fois par mois, le soir, ils proposent un petit concert d’une vingtaine de minutes à tous les résidents atteints d’Alzheimer, en puisant dans la musique médiévale un répertoire adapté à ce public. Puis ils rendent visite une dizaine de résidents qui les reçoivent chacun dans leurs chambres : sorties de leur rythme habituel, les personnes se libèrent lors de ces rencontres, même les plus réfractaires. Ils leur jouent de la musique, sans intention thérapeutique, mais l’aspect humain est très intense et ces moments de vie créent beaucoup de joie des deux côtés, comme en ont également témoigné Hugo Vidal-Rosset, directeur de l’EHPAD et Peggy Frattini, animatrice. 

Faire entendre la musique, mais aussi la faire chanter : Astrid Bachelot, chanteuse de jazz et musique actuelles et enseignante à l’école de musique de Migennes, dirige une « chorale inclusive » à l’EHPAD des Clairions d’Auxerre. Cette chorale s’est montée à la demande des résidents, et réunit environ 25 participants pour des séances mensuelles qui mêlent détente et travail de répertoire, grâce à des carnets de chant en gros caractères. La régularité permet un lien plus fort et une implication des choristes : la cheffe constate de réels progrès sur le son d’ensemble, on peut donc vraiment parler de chorale. Mais c’est aussi un moment de sociabilisation : certains viennent sans chanter, et les répétitions sont ouvertes aux familles et aux amis ainsi qu’aux soignants. Enfin c’est un moment d’apaisement pour certains cas difficiles, des visages reprennent vie. En juin 2023, Astrid Bachelot avait aussi organisé une rencontre intergénérationnelle avec une chorale d’enfants : plus qu’un concert, le résultat de cette action a été un temps de partage entre les enfants et leurs aïeux. 

© L’Yonne Républicaine – DR

Astrid a pointé les différentes difficultés rencontrées, notamment les changements fréquents de personnel auxquels il faut s’adapter. Elle aimerait que des soignants puissent participer à la séance complète, car cela change le rapport avec les résidents. Mais elle souligne l’importance de la volonté de la direction de valoriser le projet : suite à la perte d’une des subventions qui avaient permis de lancer le projet, l’EHPAD a décidé de maintenir la chorale mais en passant d’une répétition tous les 15 jours à une par mois, ce qui a un impact sur le contenu des séances.

Justin Bonnet, directeur artistique du Collectif TO&MA a témoigné de ses collectages de chansons de tradition orale et de témoignages de la vie paysanne auprès des anciens dans plusieurs établissements médico-sociaux de Bourgogne, mais constate que plus le temps passe, moins ils sont anciens par rapport à lui, et moins ils ont de chansons à transmettre. Il s’oriente donc vers un autre projet autour de leurs plats préférés, un autre genre de pratique collective ! Mais il souligne au passage l’importance du respect de la vie privée : il n’enregistre les témoignages ou chansons qu’avec l’autorisation des personnes qu’il rencontre, ce qui lui a fait parfois « rater » de très belles choses, mais qu’il faut accepter. 

Ce travail de collecte a donné lieu à des arrangements polyphoniques que l’ensemble Têtes de Chien est venu présenter en spectacle dans les mêmes établissements. Un beau « retour sur investissement » pour les personnels soignants ayant accueilli le projet et pour leurs résidents.

Le Pôle Gérontologique de la Vallée du Serein, qui a accueilli les ateliers sensoriels d’Antoine Jomin, témoigne également d’un projet initié par Jean-Christophe Hurtaud de l’association Les Petits Chemins et mené par Marion Billy, chanteuse et comédienne improvisatrice. Le projet Résonance, ce sont des ateliers de chant en dehors des murs de l’établissement de soins, qui réunissent entre une dizaine et un vingtaine de résidents et quelques soignants ; ce n’est pas vraiment une chorale, mais plutôt des séances autour de la table où tout le monde chante ensemble. L’intervenante ne se sent pas « chef de chœur », mais elle apporte un regard extérieur et emmène les résidents dans le chant en engageant sa personne.
Ces ateliers contribuent à la sociabilisation, et engagent plusieurs formes de mémoire : se souvenir des paroles fait appel à la mémoire procédurale, qui peut ressurgir après très longtemps même en cas de maladie mémorielle ; les mélodies quant à elles stimulent la mémoire d’épprentissage, les capacités d’apprendre sont donc toujours possibles. Ces ateliers sont accompagnés d’un cycle de formation des familles et des personnels de santé, afin qu’ils puissent encadrer eux aussi ce type d’ateliers, bien qu’ils se sentent souvent peu à l’aise pour chanter.

Mais il n’y a pas que les « anciens » qui bénéficient des bienfaits de la voix chantée : à Dijon, c’est au service de néonatalogie du CHU qu’est né le projet Les Berceuses, en partenariat avec le service action culturelle de l’Opéra de Dijon sous la responsabilité de Guillaume Labois. Des recherches menées par des experts en neurologie ont démontré l’impact  de la musique sur le développement des enfants, et à tous les âges, en témoignage l’ouvrage de Emmanuel Bigand et Barbara Tillmann : La Symphonie neuronale.

Depuis 2016, Delphine Ribémont-Lambert, chanteuse du chœur de l’Opéra de Dijon, se rend une fois par mois dans les services de réanimation, de médecine et de soins intensifs néonatals du CHU pour chanter une berceuse aux bébés, et propose ensuite aux parents qui le souhaitent de se familiariser avec le chant afin de reproduire les effets positifs de la musique sur la santé de leur nouveau-né. En plus d’apaiser les parents et les soignants, de vrais résultats ont été constatés sur l’état physiologique des prématurés : pendant le chant, on mesure une meilleure oxygénation et un rythme cardiaque apaisé. Plus étonnant encore, cela déclenche le réflexe de succion, rarement au point chez les prématurés et pourtant vital.Ces interventions sont soigneusement préparées en amont par l’équipe soignante avec les parents, et tiennent compte du système auditif fragile des nouveaux-nés, très sensibles aux décibels et aux aigüs ; la chanteuse lyrique doit adapter sa tessiture et le choix du répertoire. A terme, elle aimerait que les soignants s’habituent à chanter pendant les soins, un pas qu’ils ont encore du mal à franchir malgré les bienfaits constatés.

© Le Bien Public – DR

Retour à l’autre bout du parcours de vie avec le projet C’est un petit bonheur ou La solidarité en chansons : inspiré par le balluchonnage québecois (dispositif de répit pour les aidants et de maintien à domicile pour les personnes âgées), ce projet mené depuis 2021 en Côte d’Or et dans l’Yonne rassemble une vingtaine de chanteurs amateurs bénévoles qui se rendent au domicile de personnes âgées handicapées ou isolées, voire en fin de vie à domicile. Accompagnés d’instrumentistes professionnels, ils s’appuient sur un service de soins à domicile pour apporter des moments musicaux dans les territoires ruraux. Ils disposent d’un répertoire de chansons allant de 1879 à 1999, qu’ils entretiennent et enrichissent grâce à 2 ou 3 week-ends de répétitions dans l’année avec leur chef de chœur Jean-Christophe Hurtaud qui coordonne le projet. D’abord constitué d’un noyau dur de choristes habitués, le groupe s’est complété par des accompagnants qui les ont rejoints. Une cinquantaine de visites sont prévues dans l’année, en recherchant une régularité, importante dans l’accompagnement des personnes isolées que le groupe essaie de voir 4 à 5 fois par an afin de nouer une relation. Il arrive que les bénéficiaires finissent par chanter eux aussi. L’intervention musicale est suivie d’un goûter, moment d’échange plus personnel : la convivialité fait partie du programme, même quand c’est le troisième goûter de l’après-midi ! 

Le lien avec le personnel de santé est indispensable, non seulement pour préparer le moment d’arrivée, mais aussi pour accompagner l’impression de vide que peut provoquer le départ du groupe. Ces interventions, portées par une notion de solidarité, s’inscrivent davantage dans le champ du social que du médical, mais passer par les structures de santé permet une meilleure organisation. Dans ce projet qui regroupe des musiciens d’univers très différents, choristes et instrumentistes trouvent une utilité sociale à leur pratique artistique et participent à la vie de leur territoire ; ils constatent que les personnes sont moins intimidées par des chanteurs amateurs que par des professionnels. De plus, leurs interventions ont donné envie à des enfants de bénéficiaires de se mettre à chanter et de rejoindre ce type de chorale.

Christophe Hurtaud souhaiterait modéliser ce programme pour pouvoir le développer sur d’autres territoires.

© DR

Pour conclure cette série de témoignages, Elsa Maitrot, chargée de communication au Centre Hospitalier La Chartreuse à Dijon, et précédemment au CHU, est revenue sur les différents obstacles que peuvent rencontrer les porteurs de projet artistique en milieu de santé, et les enjeux à prendre en compte :

  • Avoir conscience des a priori que peuvent avoir les personnels de santé ou les directeurs d’établissement vis-à-vis de la culture ou des artistes
  • Inscrire l’action artistique dans une action de soins, en ayant conscience de l’organisation de l’établissement et de la nécessité d’être accompagné
  • Partager le contenu du projet artistique avec les accompagnants, et l’élaborer avec eux
  • Ne pas sous-estimer l’impact émotionnel que peut susciter l’intervention, et a contrario être prêt à faire face à une réception différente de celle du public habituel
  • Anticiper la question du financement pour que le projet soit pérenne, et ne s’arrête pas avec la fin des subventions
  • Connaître le contexte de l’établissement et du service, et utiliser le bon vocabulaire.

En complément, une psychologue d’EHPAD souligne que les artistes extérieurs pourraient être un vecteur pour développer chez les soignants leurs qualité d’être alors qu’ils sont surtout formés au faire : un travail de fond qui prend du temps, et qui se heurte aux difficultés d’emploi du temps dues au manque de personnel.

Pour y voir plus clair, et bien que la médiation et la notion d’insertion professionnelle s’inscrive progressivement dans la formation des artistes, la Fondation Artistes à l’Hôpital vient de mettre à disposition sur son site internet un guide du monde médico-social à destination des artistes

Au-delà de la richesse des témoignages et des échanges, plusieurs sujets principaux se sont dégagés lors de cette journée : 

  • L’importance de la médiation par des acteurs culturels pour la bonne conduite d’un projet artistique en milieu de santé 
  • Les notions éthiques attachées à ces projets (confidentialité, consentement…)
  • La nécessité de travailler en binôme artiste / soignant dans une relation de confiance
  • Les bénéfices pour les patients ou résidents, mais aussi pour les artistes eux-mêmes.

⁠Le tout autour de la voix, au cœur du programme de la Fondation Artistes à l’Hôpital et de la Cité de la Voix.