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Avec « Janua, Echos du dernier schisme » l’Ensemble Irini est l’invité des Rencontres musical le 22 août à Vault-de-Lugny pour une évocation de la dernière tentative d’union entre les Églises d’Orient et d’Occident au XVe siècle. Lila Hajosi nous donne plus de précisions sur un programme réunissant des pages de Dufay, Plousiadenos et Chrysaphes.

En 2017, vous avez participé avec Irini (né en 2015) aux Quotidiennes de la Cité de la Voix. Avec le recul, quel bilan tirez-vous de cette expérience pour ce qui était alors un tout jeune ensemble ?

Les Quotidiennes sont un sacré défi car il faut enchaîner beaucoup de concerts dans des lieux et des acoustiques très différentes (basilique, salle romane, petites églises aux alentours de Vézelay…). Cela nous a fait beaucoup de bien en nous poussant à nous recentrer sur notre son d’ensemble, afin de trouver une forme d’indépendance par rapport au cadre. C’est un peu comme faire du sport, on acquiert l’endurance et l’autonomie qu’on n’avait pas au début et, de ce point de vue, ça été très positif. Notre niveau de qualité a été augmenté après cette expérience intense.

Quelle est la singularité de la démarche musicale d’Irini ?

Irini est spécialisé dans la musique vocale, pas seulement a cappella mais aussi avec des instruments.L’ensemble (à géométrie variable, de 3 à 10 chanteurs) présente un son particulier car il ne comprend pas de voix aiguës. Notre son est assez grave, assez chaud, avec des aigus qui viennent magiquement s’installer sur les voix par le biais des harmoniques : c’est la « voix magique », la voix des anges. D’un point de vue historique, nous prenons pas mal de libertés pour obtenir un son très « punchy », très incarné avec des voix qui chantent pleinement. Quasiment tous les membres d’Irini sont des chanteurs solistes et possèdent des voix très puissantes. Nous ne retenons pas les chevaux et osons des interprétations assez personnelles.

La transversalité, la relation entre la musique et les époques qui l’ont vu naître sont très importantes dans votre démarche…

Quand on fait de la musique ancienne, on a affaire à une musique attachée à une époque. Au-delà du fait de se demander si on produisait le son de telle ou telle façon, ce qui m’intéresse et dont j’essaie de faire une spécialité, c’est d’accorder plus d’importance au contexte et à l’histoire que raconte la musique. Une musique ne sort jamais de nulle part, elle est attachée à un ici-et-maintenant, à des êtres qui avaient un ressenti de leur époque. Elle vient de gens qui vivent, qui ont des interactions avec d’autres personnes, qui sentent les parfums dans l’air, qui voient des paysages, des couleurs qui nous sont inaccessibles aujourd’hui. La musique c’est très humain, c’est produit par des gens qui vivent et qui ont une expérience du réel et ce sont des choses que l’on ne peut pas recréer. On a beau faire de la musique ancienne de la manière la plus historiquement informée possible, on ne peut pas recréer la vie organique de cette musique à son époque. En revanche, on peut s’intéresser à ce que la musique dit en plus de la musique, à la façon dont elle s’inscrit dans le contexte historique de l’époque, dans la vie du compositeur…

Pouvez-vous nous donner plus de détails sur le programme de « Janua, échos du dernier Schisme » que vous interprétez aux Rencontres musicales samedi après-midi ?

Il s’agit d’un programme complètement lié à un sujet historique : le Concile de Florence, qui a eu lieu entre 1436 et 1439. C’est le moment où les Églises catholique et orthodoxe ont essayé de se réunifier après leur séparation en 1054. Une tentative motivée par des raisons théologiques mais aussi politiques : à l’époque les Ottomans devenaient très puissants et étaient en train d’écraser Constantinople, capitale de l’Empire Romain d’Orient. Cette union a été prononcée, elle a duré quelques mois mais ça n’a pas fonctionné. L’Occident n’est pas venu défendre Constantinople, hormis quelques groupes ici ou là, mais globalement il n’y a pas eu de soutien militaire et les Ottomans ont rasé la ville en mai 1453. C’est cela que raconte notre programme « Janua » à travers la vie de Guillaume Dufay (1397-1474), un témoin privilégié qui a tout vécu : le Concile, les tractations et la chute de Constantinople. L’ensemble Irini aime mettre en miroir un volet occidental et un volet oriental. Guillaume Dufay, connu comme compositeur franco-flamand (originaire de Cambrai) a eu, ce que l’on sait moins, une période grecque. En effet, travaillant pour la famille italienne Malatesta, il a par exemple composé une pièce pour le mariage de la fille de son mécène avec le fils de l’empereur de Constantinople. Il a vraiment côtoyé le monde grec, il s’est rendu en Grèce auss, un aspect moins connu de sa vie. Pour le volet oriental on trouvera en face de Dufay des œuvres de Janus Plousiadenos (1429-1500) et de Manuel Doukas Chrysaphes (1415-1480) des musiciens de Constantinople qui ont tous deux connu sa chute et le Concile de Florence.

Quels sont vos projets musicaux ?

Il y en a plein ! Nous prévoyons d’enregistrer le programme « Janua » en octobre 2025 à la Cité de la Voix. Des projets se dessinent aussi en collaboration avec l’ensemble contemporain belge ICTUS, dont un programme 100% féminin autour des miracles de la Vierge, avec des percussions corporelles et une mise en chorégraphie qui promet d’être originale. Je rêve aussi – mais je ne suis encore qu’à l’étape de la conception – de faire un programme mettant en miroir Gabrieli et un compositeur de la même époque : Constantinos d’Aghialos.

Retrouvez Lila Hajosi au côté l’ensemble Irini samedi à 16h à l’église de Vault-de-Lugny.

Propos recueillis par Lila Liburski de l’équipe RMV live

LILA LIBURSKI
Bercée dans de nombreux festivals de France et de Navarre où elle accompagnent ses parents, Lila passe sa septième année aux Rencontres musicales de Vézelay.

Passionnée par le chant qu’elle pratique depuis l’âge de sept ans, Lila chante à la maîtrise de Fontainebleau.

Photo © Yukila Sève